Annonce de parution
Les Trois Coups.com
Au lecteur
par Jacques Téphany
Que reste-t-il de la poussière du plateau soulevée par les capes des héros ? Les gens de théâtre savent qu’ils sont mortels. Leurs « actes » s’éteignent avec le dernier plein feu des saluts et l’ultime claquement de mains des spectateurs, si nombreux ou rares soient-ils. Le comédien ne se regarde plus dans le miroir que pour ôter le masque qui faisait de lui un autre. D’ailleurs, se regarde-t-il vraiment comme tout à l’heure, avant le début de la représentation, au moment de ses retrouvailles avec le personnage ? Non, le personnage ne le regarde plus, ne l’intéresse plus : mort du personnage. Il n’intéresse plus personne à moins d’être une vedette descendue d’un Olympe imaginaire dont les fans veulent toucher l’irréalité. La vedette, en art de la guerre, est le soldat envoyé en avant pour voir avant les autres, en avant des autres. Molière était une vedette.
De lui, de son art théâtral, de sa voix, de sa diction, de son masque, de ses costumes, de son miroir, il ne reste rien. Tout au plus trois fétiches, dont un fauteuil sous vitrine à la Comédie-Française et deux portraits. De son œuvre au contraire, tout, mais un tout livré à l’imagination des générations successives qui la reconstruisent comme on reconstitue un animal du jurassique à partir de quelques vertèbres. Avec une constante propre à l’homme, d’après le philosophe : le rire.
Dans ce numéro des Cahiers Jean-Vilar, nous sommes allés à la recherche de cette constance assurée par ceux-là mêmes qui la maintiennent vivante : les acteurs, les metteurs en scène, et quelques analystes qui, on le vérifiera à la lecture, ont abandonné toute posture pour parler de Molière comme d’un ami qu’ils croisent régulièrement dans leurs coulisses. Nous-mêmes, en relisant les épreuves de cette livraison, nous sommes frappés par la simplicité d’approche, la sensibilité voire l’émotion qui se dégage de ces évocations du bonhomme, de l’amoureux, du fidèle, de l’infidèle, de l’aventurier, de l’ambitieux, de l’affamé, mais aussi du rêveur, de l’acteur, de l’entrepreneur, de l’artiste en politique, de ce torero qui, selon Philippe Caubère, joue avec la mort de la bête à tuer au risque de sa propre vie.
Ne pouvant embrasser « tout » Molière, nous n’avons approché que celui d’Avignon et de la cour d’honneur. Et de ses alentours, tout de même, car tout commence, pour nous, avec Vilar et sa redécouverte de Don Juan en 1944 sur le minuscule plateau du Théâtre La Bruyère avant de s’élargir aux vastes proportions de la cour du palais des Papes dix ans plus tard. Moins moliéresque que shakespearienne, cette cour d’honneur ? Apparemment oui, même si c’est dans cette vastitude propice au théâtre épique que Vilar, homme seul, a salué pour la dernière fois son public bouleversé dans un rôle de roi de théâtre, celui d’Harpagon dans l’Avare. Et nous publions le passionnant montage de Stanislas Roquette et Stanislas Siwiorek, la Machine de l’homme, qui réunit de façon éclairante les monologues de Don Juan et les rêveries solitaires de Jean Vilar.
La lecture de cet ensemble nous a donné l’impression d’un Molière par les siens qui nous sert de titre. Pour que cette appropriation plus qu’amicale, affectueuse, soit complète, nous attendons désormais celle du public, en l’occurrence, ici, le lecteur.
J.T.
Sommaire nº 118
Au lecteur par Jacques Téphany [voir plus bas]
Hommage à Christiane Minazzoli
Molière l’Avignonnais et ses amis, Mignard d’Avignon et Mignard le Romain par Georges Forestier
Molière en province par Michel Corvin
Jean Vilar et Molière
Jean Vilar et Don Juan au Théâtre La Bruyère en 1944
Note impertinente sur l’Avare par Jean Vilar
Mon cher Vilar par Claude Roy (Don Juan au T.N.P, 1953)
Dialogue avec le public sur Don Juan
Monsieur Vilar, votre Molière est notre Molière par Cécile Falcon
Vilar et Molière par Martine Aubry
Metteurs en scène et comédiens
Roger Planchon : George Dandin (Avignon 1966), Tartuffe (1967)
Quand on prend un tournant, il faut le prendre sec par Michel Bataillon
Molière toujours par Antoine Vitez
Penser le théâtre en le faisant par Claude Lemaire
L’École des femmes, Dom Juan, Tartuffe, le Misanthrope mis en scène par Antoine Vitez par Michel Cournot (1978)
Molière ou : du théâtre qui dit oui au théâtre qui dit non par Roland Monod
Une bonne leçon par Hervé Loichemol (l’École des femmes, 1984)
La comédie est un combat par Jean-Pierre Vincent (les Fourberies de Scapin, 1990)
Un incessant devenir par Jacques Lassalle (Dom Juan, 1993)
Tartuffe, une pièce de douleur par Ariane Mnouchkine (1995)
Un combat d’aujourd’hui par Évelyne Ertel
Anatoli Vassiliev soumet Molière à l’épreuve des arts martiaux par Michel Cournot
Les expériences du chercheur en théâtre par Jean-Pierre Thibaudat (Amphitryon, 1997)
À l’école de l’École par Didier Bezace
Arnolphe m’émeut, oui… par Pierre Arditi (l’École des femmes, 2001)
Les Enfants de Molière par Claire Lasne (Dom Juan, 2002)
Appropriations de Molière
Les États généraux du corps par Philippe Avron
Dom Juan 2000 par Philippe Avron (1988)
Pas de grand théâtre sans cruauté par Philippe Caubère
Molière des romantiques par Olivier Bara et Florence Naugrette
Molière, « l’homme théâtre » sur la scène du xxe siècle par Nathalie Macé‑Barbier
Molière, compagnon de toujours par Éric Ruf
La bibliothèque-musée de la Comédie-Française, mémoire vive d’un théâtre par Agathe Sanjuan
La Machine de l’homme :
Texte intégral du montage de Stanislas Roquette et Stanislas Siwiorek autour de Vilar et Don Juan (spectacle créé en juillet 2013 à la Maison Jean‑Vilar)
Vilar et le T.N.P. ont toujours utilisé l’orthographe mozartienne de Don Juan (Don Giovanni), quand l’usage moliéresque préfère Dom Juan (plus fidèle au latin dominus, « maître », « seigneur »…). Nous avons joué, dans cette livraison de nos Cahiers, avec cette orthographe : lorsque nous sommes dans le voisinage de Vilar, va pour « Don » ! Lorsque nous naviguons sur des mers plus lointaines, alors c’est « Dom »… Nous remercions le lecteur de ne pas nous tenir rigueur de ces hésitations…
Les Trois Coups
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